- Même en version ZS, la Peugeot 104 n'a pas la réputation d'être un bolide détruisant tout sur son passage ! C'est pourtant une excellente base de voiture de rallye. La preuve : une fois passée entre les mains expertes des préparateurs, une fois homologuée en groupe 2 et une fois arrivée sur la terre, son domaine, elle se met à remporter des courses ! Comme quoi, une réputation...
Le petit quatre cylindres développe 130 chevaux, puissance insuffisante sur les parcours rapides.
Changer totalement l'image de marque du réseau, créer une émulation chez les concessionnaires", voici la tâche que s'est fixée le GACP, le Groupement Amical des Concessionnaires Peugeot. Attaqués de toutes parts, accusés de lymphatisme, d'être rétrogrades, certains d'entre eux ont décidé de répondre à leurs détracteurs sur le difficile terrain qu'est la compétition depuis 1980.
Sous l'impulsion de son dynamique président, Michel Elias, le GACP a engagé, en début de saison, une Peugeot 505 en production, pilotée par Guy Fréquelin et préparée par Danielson, ainsi que deux 104 groupe 2, inscrites en championnat de France de rallye deuxième division et confiées aux équipages François Chauche-Thierry Barjou et René Defour-Bernard Chenez.
L'ensemble du réseau contribue au "changement d'étiquette", par leur présence sur le bord des circuits (animation podium), ou sur les routes, dans les parcs d'assistance de rallies. Jacques Bauciel, l'un des dirigeants du GACP, responsable du groupe de travail compétition, nous explique pourquoi lutter sur les deux fronts :
"La couverture géographique des rallies est, loin d'être idéale. En effet, les épreuves du championnat de France deuxième division sont concentrées dans le Sud Ouest et le Sud Est et ne dépassent que très rarement la Loire. En revanche, les protagonistes de la Production se promènent beaucoup plus, allant même dans le Nord, sur le circuit de Croix en Ternois, près d'Arras". Il n'est évidemment pas question de chiffrer, ni même de connaître les retombées de cette initiative, tant auprès du public, qu'auprès des concessionnaires. Quoi qu'il en soit, le GACP continuera en 1983, en rallye comme en production, toujours secondé par les mêmes partenaires : Peugeot, Esso, Shell et Michelin. En ce qui concerne le rallye, les plans sont d'ores et déjà établis.
"Nous allons augmenter notre effectif et nos moyens en entrées comme en sorties de spéciales." explique Jacques Bauciel. "Pour ce qui est du matériel, nous conservons les deux 104 GR. 2 avec lesquelles nos pilotes ont couru cette saison, comme voitures de réserves. Nous allons également préparer une Samba Rallye homologuée en groupe B. A puissance égale, elle devrait être plus efficace, car plus légère de 100 kg que la 104, grâce à l'emploi d'éléments polyester"", continue Jacques Bauciel. En 1983, le GACP gardera toute sa confiance en François Chauche, qui sera chargé de la mise au point de la groupe B, et incorporera dans son équipe le vainqueur 82 de la Coupe 104 ZS, Dubert. "Nous tenons beaucoup à ce côté promotionnel" insiste Jacques Bauciel.
Comme cette année, l'équipe du GACP participera aux épreuves disputées à 100 % sur la terre (2e division), ainsi qu'à quatre épreuves mixtes à prépondérance terre du championnat de France des rallies, plus à quelques courses de notoriété le Monte Carlo, le tour de Corse et le RAC.
Pour Jacques Bauciel, le bilan de la saison est positif : "Notre satisfaction fut de faire taire nos détracteurs qui pensaient que nous ne pourrions nous mesurer aux Visa Gr. B. Nous avons fait généralement mieux, puisque nous avons été souvent devant les pilotes Citroën comme Coppier ou Rio. Autre motif de satisfaction, les prestations de Français Chauche au tour de Corse ou au Biarritz - respectivement 1er du Gr. 2 avant abandon et 3e et 5e au scratch... hélas toujours avant abandon.".
Le dimanche précédant notre essai, comme pour nous prouver de quoi elle est capable, la 104 Gr. 2 a remporté le rallye du Quercy, avec Français Chauche et Thierry Barjou. Nous allons donc essayer une voiture encore tout auréolée de sa récente victoire. Ce n'est pas pour nous déplaire.
La préparation de la 104 groupe deux est entièrement confiée à des préparateurs, tant au niveau de la caisse qu'à celui de la mécanique, suivant un cahier des charges établi par le GACP, en fonction de l'expérience acquise. La coque de la voiture de François Chauche est entretenue à Aubenas, chez Jean-Louis Dupland, l'agent Peugeot local. Comme pour tout bolide destiné à affronter les dures épreuves de la piste, elle est entièrement mise à nu. Commence ensuite, l'important travail de renforcement : un passage au marbre s'impose.
Toutes ses soudures sont passées au crible, contrôlées systématiquement, refaites et renforcées si besoin. C'est également le moment de poser le volumineux arceau-cage, qui contribue à la rigidité de l'ensemble et d'installer un quatrième point de fixation du berceau moteur. Derniers organes à recevoir les soins du sorcier : les points d'ancrage des suspensions avant et arrière, durement sollicités sur la terre.
Le tableau de bord, typique d'une voiture de rallye, avec tous les instruments indispensables au pilote comme au copilote. L'intérieur est habité par le réservoir d'essence et par la roue de secours. Noter les corbeilles à papier prévues pour transporter les casques.
130 CHEVAUX SOUS LE CAPOT
Changement d'atelier puisque la mécanique de la 104 est l'oeuvre de Xavier Mathiot. Sa mission : partir à la pêche à la puissance et remplir le 1360 de la 104 ZS de bon petits chevaux, dont il a fort besoin. Le bas moteur reste inchangé mais, en revanche, chemises et pistons sont remplacés par des organes forgés. L'arbre à cames "spécial basse consommation" rejoint les papiers gras du casse-croûte dans la poubelle. Avec le diagramme de levée des soupapes dont il est affublé, il n'a pas sa place dans une voiture de course La culasse, quant à elle, a fait l'objet d'importantes modifications. C'est là que le préparateur a décidé de poser ses filets. Il a réusiné un conduit d'admission au-dessus de chaque cylindre, de manière à pouvoir installer sa nouvelle pipe d'admission et la rampe de deux carburateurs double corps Weber 45. Le rapport volumétrique est de 11. Surprise, soupapes et ressorts restent de série. C'est un échappement "quatre en un" qui permet au 130 chevaux DIN d'aller gambader dans la nature, puissance obtenue à 7 500 tr/mn. Le couple est de 19 mkg, à 5 500 tr/mn. Une plage d'utilisation qui satisfait amplement François Chauche : "Il est très rare que le régime moteur chute au-dessous de 5000 tr/mn durant une spéciale ; de plus, ce petit quatre cylindres est hyper solide et ne rechigne pas à monter sans que cela affecte sa fiabilité vers les 8 000 tr/mn". Avec une cylindrée de 1 360 cm3, la puissance au litre de la 104 avoisine les 100 ch/litre, valeur plus qu'honorable et souvent synonyme de performance. Autre chiffre éloquent : le rapport poids/puissance qui est de 5,54 kg/ch (la 104 pèse 720 kg).
La boîte, à cinq rapports rapprochés homologués par Peugeot est reliée au moteur par un embrayage monodisque (de série) renforcé. Le rapport final est ultra court - 13/61 - et la boîte est munie d'un autobloquant par glissement limité à 25 %. La commande de boîte est entièrement montée sur rotules.
Le principe de suspension reste le même que celui de série, à savoir à quatre roues indépendantes. du type Mac Pherson. A l'avant, toute la suspension est renforcée, et les silent-blocs ont une dureté augmentée. Les deux ancrages supérieurs sont reliés par une barre de renfort. Punie, la barre antiroulis ne remplit désormais plus le rôle qui lui est normalement alloué. Celui-ci est confié à une autre barre, au diamètre supérieur et placée en arrière du train avant. Quant à "l'écartée", elle se contente de servir la rigidité du train avant. Les combinés ressorts-amortisseurs, réglables et suffisamment durs pour supporter les assauts de la piste, permettent de modifier la garde au sol, en fonction du terrain rencontré et de la nature de la piste - terre (hauteur de caisse 20 cm), asphalte (14 cm) ou parcours mixte. La démarche identique à l'arrière.
D'une importance capitale, le freinage a été traité avec les honneurs dus à son rang : double circuit, deux disques ventilés, étriers à quatre pistons à l'avant, disques et deux étriers... avant de Citroën Visa, en lieu et place des traditionnels tambours à l'arrière. Enfin, sachez que le pédalier est réglable et que le pilote dispose, à portée de la main, d'un répartiteur de freinage.
Les roues, des Amil de série de 6 x 13, sont équipées de pneus terre Michelin RC 12.
Inspectons l'habitacle du bolide. Me croiriez-vous si je vous dis qu'il est dénudé et que tout superflu a suivi le chemin tracé par l'arbre à cames D'emblée, on remarque la présence du réservoir souple de sécurité, de la roue de secours et celle... de deux corbeilles à papier soigneusement découpées de manière à loger les casques durant les parcours de liaison.
Comme il se doit dans pareil carrosse, le tableau de bord est archi complet. Au centre, le compte-tours, gradué jusqu'à 9 000 tr/mn. De part et d'autre, températures d'eau et d'huile, pression d'huile, témoin de charge et, bien en vue, deux énormes voyants : vert pour la charge, rouge pour la pression d'huile - celui qui s'allume lorsque c'est trop tard... La console centrale, à rendre jaloux un amoureux du vol à voile, réunit le contact, le démarreur, les pompes électriques, le ventilateur à plusieurs positions, le chauffage et la myriade de fusibles. Le coéquipier, quant à lui, a sous les yeux tous les instruments indispensables à sa dure mais enthousiasmante profession : tripmaster, calculateur de bord, etc.
Extérieurement, peu de détails différencient la voiture de François Chauche d'une "vulgaire" 104 ZS de série. L'oeil averti du connaisseur sera toutefois attiré par les discrets élargisseurs d'ailes, par le spoiler en partie caché par les énormes bavettes, par la garde au sol augmentée ou par la présence insolite d'un échappement béant au beau milieu du panneau arrière. A moins qu'il ne remarque les couleurs agressives choisies par le GACP et par les énormes stickers des commanditaires décorant la carrosserie.
Voici la bête descendue du plateau. Pompes électriques branchées : le crépitement caractéristique se fait entendre. Le fidèle mécanicien de François Chauche connu sur toutes les spéciales de rallies sous le sobriquet de "Cactus", appuie sur le bouton-poussoir qui fait office de démarreur. Un son inhabituel envahit la nature environnante. Difficile de croire qu'un tel bruit puisse provenir des entrailles d'une 104 ! "Cactus" fait chauffer la mécanique pas question de partir avant que les aiguilles de températures aient décollé du coin gauche du cadran, où elles sont confortablement installées. Il a plu, les journées (et les nuits) précédentes de notre essai, et la piste de Cergy est littéralement gorgée d'eau. Jean-Michel Fabre, inquiet, ne manque pas de nous recommander la plus élémentaire prudence quant à l'inévitable dégradation de la piste. La consigne : limiter les dégâts
Ca glisse à la demande, et avec une stupéfiante facilité ! La 104 est vraiment à son aise sur les terrains glissants.
TOUTES GRIFFES DEHORS
Histoire de faire plaisir à notre photographe, Alberto Martinez, Français Chauche décide de lui exécuter quelques petites figures de son répertoire. Pourquoi ne pas aller, pour l'occasion, s'installer dans la baquet de Thierry Barjou ? En route pour une démonstration de talent !
Un, deux passages réalisés à allure relativement lente... mais suffisamment rapide pour me donner déjà un aperçu du menu. De mon poste privilégié, je peux tout admirer : jeu de jambes, jeu de pieds, de mains, de vilains, de volant.
La vitesse s'accentue, les rapports s'égrainent avec une vitesse croissante, avec une violence accrue, les gestes se font plus brutaux, vifs, précis... Dame concentration a envahi l'esprit du pilote, qui fait désormais corps avec sa machine. La motricité est loin d'être parfaite, dans cette "gadoue" les roues patines avec insistance. La 104 semble comme suspendue à son propre souffle, comme retenue par une main invisible. Le moteur hurle son impatience, l'aiguille du compte-tours dépasse allègrement le régime maximum autorisé. Soudain, la caisse s'élance sur la piste défoncée, ne ménageant ni ses occupants ni sa mécanique. Tout vibre, secoue, remue, sursaute. Le pilote, habitué à manier son fauve toutes griffes dehors, le maintient en un continuel louvoiement, prêt à se lancer dans un magistral travers à la vue du virage ou de l'épingle, usant pour cela de l'appel-contre appel. La voiture, ainsi manipulée, est toujours "à l'équerre"... A croire qu'une 104 n'est pas une traction sous-vireuse comme le voudrait sa réputation, mais bien une propulsion, dont l'arrière est éternellement épris de liberté. Les épingles sont avalées dans d'amples glissades. Mon conducteur est un adepte de la technique nordique dite "du pied gauche". A l'abord d'une courbe, le pied droit reste irrémédiablement appuyé sur l'accélérateur (à fond !), le pied gauche bondissant sur la pédale du milieu ; le pilote s'en sert alors pour doser son travers. Pendant ce temps, je vous fais grâce du travail des mains sur le volant, leur incroyable et déconcertante facilité à se mouvoir sur le cercle ! Du grand art...
A moi ! Succession difficile. François Chauche profite de ce moment de répit pour éclairer notre lanterne en ce qui concerne la technique du pied gauche : "avec le frein à main, c'est une des façons de faire tourner la voiture, sans perdre trop de temps ; comme tu as pu le remarquer, elle ne sous-vire pratiquement jamais alors que les roues avant motrices et l'autobloquant auraient plutôt tendance à lui donner ce comportement.
Moteur ! Les roues recommencent à patiner, les rapports ultra courts de la boîte et du pont qui autorisent une vitesse maxi de 155/160 km/h, obligent un maniement rapide du levier, dont on apprécie la précision de commande. Quel vacarme !
Dure, la direction ? Doux euphémisme qui me ferait sourire si mes bras ne criaient pas stop ! Si mes poignets ne ressentaient pas la moindre bosse, la plus infime crevasse, la plus insignifiante des aspérités, répercutées avec violence. Et encore, nous ne sommes pas sur de l'asphalte où l'inconfort de cette direction, au demeurant directe et précise (2 tours un quart de butée à butée) éclate au grand jour.
- CAMION AGILE
Arrive la première épingle. Essayons le pied gauche. Miracle la 104, qui donnait l'impression de se laisser aller dans une attitude sous-vireuse, retrouve son agilité et sa capacité à pivoter. La voilà qui se lance dans une splendide glissade. Contrôle du volant, dosage (délicat) du pied gauche et la courbe est avalée. Quel régal, quel pied (gauche) ! Incontestablement, cette groupe 2 est maniable, agile, vive. Bref, efficace. Mais elle est également éprouvante, fatigante, épuisante, intransigeante pour les muscles des bras, pour les poignets et les mains qu'elle maltraite et malmène avec férocité. A la fois douce et pénible à manier, la 104 Gr. 2 est "un camion agile". Cela dit elle ne semble pas avoir une puissance débordante et son moteur pointu est heureusement secondé par la boîte de vitesses. On comprend pourquoi les responsables du GACP ont évité pour le Championnat de France des rallies au maximum disputés sur l'asphalte, épreuves où la puissance est primordiale. "Elle compense son manque de puissance par sa légèreté, son excellent freinage, et sa maniabilité dans les épingles serrées" nous dit François Chauche.
A l'aise dans les spéciales sinueuses, sur les chemins étroits, et sur la glisse, la 104 groupe 2 étonne, crée souvent la surprise... et enthousiasme celui qui a la chance de la piloter.
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